Enfance
Il y eut la petite enfance, dans ces années qui étaient encore de lointaine après-guerre et qui semblaient plonger leurs racines dans un temps archaïque. Il y eut des guêtres et des snow-boots, le jardin d’enfant, la découverte de l’ennui profond, celle de la méchanceté, mais il y eut aussi des corbeilles de pétales de roses, le temps d’une procession.
Il y eut le temps des six, sept ans, alors que le monde s’ouvrait à une ère nouvelle, gaiement colorée par les affiches d’Hervé Morvan qui s’étalaient dans le métro. Il y eut le temps de l’école primaire, des colonies, du catéchisme, des galas de danse. Il y eut le bel épanouissement des neuf ans, l’acmé de l’enfance en pleine possession de ses moyens. A neuf ans, ma prétention était d’écrire le Français sans plus aucune faute d’orthographe, pas moins ! Et sans doute n’en étais-je pas très loin, car je me rappelle encore comme une cruelle humiliation cette dictée où je fis quand même une faute et écrivis le mot "velours" sans "s" à la fin.
Il y eut les dix ans et l’entrée au lycée, la fin des encriers tachés de violet, la mixité, les longs trajets le matin seule dans la nuit, l’indépendance, la liberté… Une liberté exaltée par l’air d’un temps qui courait vite, amenant chaque année de menus ou de plus grands progrès : le transistor, la machine à laver automatique, le stylo à cartouche d’encre, le chauffage par le sol, les collants mousse et même la télévision, mais pas chez nous.