J’entre en 11ème
Lors de ma seconde rentrée des classes, on me remit d’abord au jardin d’enfants. Madame Ité, l’institutrice de 11ème, vint faire passer un test de lecture aux « grandes » de cinq ans, dont je faisais alors partie. A voix haute et claire, sans accrocher, je déchiffrai un paragraphe d’une fable de La Fontaine.
- « ça va, dit Madame Ité, tu passes en 11ème. »
Ma nouvelle institutrice se nommait donc Madame Ité. Tout habillée de noir, réputée sévère, le visage austère et jaune, elle nous faisait forte impression. Elle ne nous passait rien, pas un accroc dans la lecture d’une phrase, pas une lettre mal formée, pas un mot échangé avec sa voisine.
Madame Ité passait régulièrement dans les rangs pour vérifier que nous tenions le crayon entre nos doigts de la bonne manière. Elle nous faisait refaire des lignes et des lignes d’une même lettre sans se déclarer jamais satisfaite. Imaginez une menotte de cinq ans, les doigts crispés sur le crayon à papier, essayant de faire des "o" parfaitement ronds, des "t" avec la barre à l’endroit voulu, des "p" avec la jambe ni trop longue ni trop courte… J’avais beau m’appliquer, tirer un bout de langue dans l’effort, il arrivait qu’une larme de désespoir perle à mes yeux. Jamais, jamais je n’y arriverais !