Des Sœurs impitoyables
Nos institutrices étaient laïques, mais les sœurs surveillaient la cantine, l’étude du soir et les récréations. Etant externe, je rentrai déjeuner chez moi et n’assistais pas à l’étude, donc j’avais en pratique peu de contacts avec les sœurs. Heureusement, car elles me terrorisaient. Leur pas traînant, leur lugubre vêtement assorti d’une cornette rigide me faisaient peur. J’avais l’impression qu’elles dissimulaient sous leurs vastes manches de longs doigts crochus… Je devais établir une inconsciente relation entre sœurs et sorcières.
De temps à autre, il arrivait que Maman aille faire des courses à Paris et me laisse à la cantine. Je détestais ces jours-là. Bien entendu, il fallait manger ce qui nous était servi jusqu’à la dernière miette, sans grimaces ni jérémiades. Puis nous devions retourner nos assiettes pour y manger le dessert, pratique qui me répugnait et m’amenait immanquablement le cœur au bord des lèvres. J’étais assez délicate avec la nourriture, j’avais facilement de l’urticaire et vomissais instinctivement les aliments qui ne me convenaient pas.
Un jour, étant restée à la cantine, je fus forcée d’ingurgiter un plat qui ne voulait vraiment pas passer. Prise de nausées, je tentai de m’enfuir aux toilettes mais fus fermement maintenue à ma place et n’eus d’autre possibilité que de vomir dans mon assiette. Quelles foudres n’avais-je pas déclenchées ? La sœur mélangea illico le vomi et le restant de nourriture et entreprit d’enfourner l’infâme mixture dans mon bec tandis que je me débattais comme un beau diable.
Cette fois, c’en fut trop. Mes parents décidèrent que j’irais l’année suivante à la communale.