Boulangerie
Si la crèmerie m’effrayait, j’aimais par-dessus tout la boulangerie. Nous fréquentions en réalité deux boulangeries différentes. L’une était un grand magasin rutilant de la rue Auguste Mounier, rue principale de l’ancien village d’Antony. A côté des baguettes bien dorées, étaient exposés les viennoiseries et les gâteaux qui faisaient les délices de mes quatre heures : pains au lait rebondis, qu’on accompagnait d’une barrette de chocolat très fin et fondant, brioches au chapeau rond, tartelettes à la confiture, « jésuites » aériens poudrés de blanc, palmiers vernis de sucre fondu…
L’autre boulangerie était sur l’avenue du Général Leclerc, que mes parents appelaient toujours la « route d’Orléans ». Elle était plus modeste, mais recelait à mes yeux un atout particulier : on y vendait des « aspire-frais », composés d’un sachet de papier enfermant une poudre acidulée qu’on aspirait au moyen d’un bâtonnet creux en réglisse. Selon le mot qu’on y trouvait inscrit, l’aspire-frais était gagnant ou perdant. J’avais l’art de choisir toujours un gagnant, ce qui donnait droit à un nouvel aspire-frais gratuit. Celui-là pouvait encore être gagnant, au grand dépit de la boulangère, qui décidait que deux gagnants étaient un maximum et que pour aujourd’hui on en resterait là.