Contes de fée
Mon enfance a été nourrie de contes de fée. J’avais des livres extraordinaires qu’on me lisait chaque jour et que je dévorai bientôt seule. L’un était une édition des contes de Perrault dans la vieille bibliothèque Rouge et Or, celle dont la couverture était d’un rouge foncé orné de lettres dorées. Ce livre était illustré par Gustave Doré, avec des images en noir et blanc tracées d’une plume acérée. Elles fourmillaient de traits touffus et de détails effrayants, rendant plus sombres encore ces contes monstrueux, dans lesquels la fillette se faisait dévorer toute cru, la jeune fille devait fuir son père en se dissimulant sous une peau de bête immonde et Barbe bleue égorgeait ses femmes une par une. Il y avait aussi, fort heureusement, des petits personnages malins, qui pensaient à semer leur chemin de cailloux blancs ou n’hésitaient pas à tromper leur monde en chantant les louanges de leur maître, le marquis de Carabas.
L’autre livre était très différent. C’était un grand album des contes de Grimm, magnifiquement illustré de dessins poétiques aux tendres couleurs. Comme ce livre était trompeur ! Car sous les pastels délicats se cachaient des histoires tout aussi atroces. Des vipères et des crapauds sortaient par la bouche de deux commères, une marâtre voulait dévorer le cœur de sa belle-fille, la pomme était d’autant plus vermeille qu’elle était mortellement empoisonnée…
Tout cela était écrit dans une langue châtiée, avec du passé simple, des accents circonflexes et des subjonctifs, à grands renfort de mots choisis, d’Hyménées, d’Empyrée, de caparaçons et de manchettes godronnées, de collations, de bonne chère, de civilités, de majordomes, de cochers et de métamorphoses. L’étonnant était que dans tout cela je lisais à livre ouvert, charmée de ces tournures et de ces mots à la fois inconnus et familiers, entrouverts sur de fabuleuses merveilles.