Cochon pendu
Mon père avait conçu pour moi un portique, source de jeux infinis. C'était un robuste portique en bois, peint en vert. A droite se trouvait une escarpolette, à gauche une barre fixe.
J'utilisais l'escarpolette vingt fois par jour, assise ou de préférence debout, m'envolant des les airs avec ivresse, jusqu'à ce que mes talons décollent du siège et que je me fasse des frayeurs. D'autres fois, je me suspendais tout en haut, aux anneaux retenant la balançoire au portique. J'effectuais alors toute une gymnastique qui me gonflait d'orgueil. Lorsque j'étais désoeuvrée, il m'arrivait de m'assoir tout simplement sur l'escarpolette et, donnant une impulsion de rotation, de laisser les deux cordes réunies en une seule s'enrouler en m'entraînant dans une spirale vertigineuse, puis se dérouler le plus vite possible jusqu'à la nausée.
La barre fixe n'était pas en reste. Chaque fois que j'allais dans le fond du jardin, qui abritait mes fameuses cabanes, je passais devant mon portique et, hop, je faisais trois gallipettes en avant sur la barre, puis trois en arrière. Je terminais par une longue séance de "cochon pendu", tête en bas et suspendue par les jambes. Nous jouions aussi au cochon pendu à deux, avec l'un ou l'autre de mes petits voisins. Pendus côte à côte sur la barre, nous disions que le ciel était la mer et nous le contemplions jusqu'à l'ivresse, jusqu'à ce que l'un de nous deux lâche prise et se laisse enfin retomber sur la terre ferme.
Une autre fois, j'étais seule, suspendue comme le petit cochon, lorsque l'un de mes petits voisins vint à passer et inventa de me chatouiller. Prise au dépourvu, je tombai sur la tête et me fis bien mal, sans en souffler mot à mes parents. J'avais bien trop peur qu'on démonte la barre fixe et enlève le siège de l'escarpolette !
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