Corde lisse
A l'école, nous disposions d'un vaste préau qui servait à tout : salle de cantine, salle des fêtes, mais aussi salle de gymnastique. A cette fin il abritait un haut portique où étaient attachées côte à côte une corde à noeuds et une corde lisse. Lors de chaque séance de gymnastique, ou presque, nous devions nous ranger devant l'une de ces deux cordes, selon nos capacités : d'un côté celles qui possédaient l'art magique de se hisser souplement jusqu'au plafond, de l'autre celles qui devaient se contenter piteusement de la corde à noeuds. Je brûlais de tenter la corde lisse, mais je n'en avais hélas pas l'occasion ! J'avais bien risqué une fois de me mettre dans la file de celles qui savaient et j'avais aggrippé, pleine d'espoir, la corde tant convoitée. Hélas, je n'avais pas réussi à m'élever dans les airs et avais été rabrouée d'un sec : "Tu ne sais pas, va à la corde à noeuds !"
Mon père finit par s'émouvoir de la situation. Il fit l'acquisition d'une corde lisse et l'installa dans la maison, pendant de la balustrade du premier étage jusqu'au rez-de-chaussée. Ah quel bonheur ! Une corde lisse pour moi toute seule, et une maison tout autour pour me dissimuler aux regards et me permettre de m'exercer sans honte ! Très vite, j'appris à me hisser juqu'en haut comme un ouistiti. Et quelle fierté le jour où, pour la première fois, je déployai mon talent neuf en cours de gymnastique ! La corde de l'école était bien plus haute que celle de la maison, mais je réussis sans problème à en atteindre la cime. Ah comme je savourai ce petit moment d'ivresse rendu possible grâce à l'ingéniosité et à la complicité de papa !