Tricotin
Dans ce temps-là, les enfants avaient tout loisir d'être désoeuvrés. L'école était à côté de la maison, les devoirs du soir vite faits (il me semble qu'une circulaire les avait supprimés, mais il y avait quand même quelques leçons à apprendre),les activités extra-scolaires étaient rares et une grande partie des vacances se passaient à la maison.
Ce n'était pas grave, il y avait les jeux avec les petits voisins, le jardin, les livres, la cuisine où Grand-Maman officiait et se tenait toute prête à bavarder en me donnant à lécher une casserole. Parfois, tout de même, j'étais prise par un sentiment d'ennui qui me jetait dans d'étranges activités, qui d'ordinaire ne me séduisaient guère. Parmi elles, il y avait le tricotin.
Le mien était plutôt une Tricotine, avec sa longue robe de bois rouge, ses joues en pommes d'api et son béret noir surmonté de quatre crochets. On entortillait de la laine autour de ces crochets, en prenant soin d'en laisser pendre un long bout dans le trou central. Armé d'une aiguille on commençait alors un long et monotone travail de "tricotinage". L'ardeur commençait à s'éveiller lorsqu'un boudin de laine pointait hors du trou. On n'avait alors de cesse de tricotiner tant et plus afin que le boudin s'allonge, s'allonge. On obtenait ainsi de longs centimètres de boudin et, un jour, on décidait que c'en était assez et qu'il était temps d'arrêter de tricotiner.
On se retrouvait alors avec ce long boudin, pour lequel il fallait trouver une utilisation, puisqu'on avait passé tant de temps à le confectionner. Après avoir longuement réfléchi, je décidais invariablement de l'assember en rond par quelques aiguillées de fil et d'en faire un tapis de poupée. Je n'eus jamais de maison de poupée, mais j'avais néanmoins une provision de tapis issus de mes heures d'ennui.